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Plein de Caporal

29 février 2016

L'AMOUR EST UN CHIEN DE L'ENFER

Lu pour vous...

Bukowski-et-son-chat

L'amour est un chien de l'enfer, de Charles Bukowski

 

Dans sa prose Bukowski tape au kilomètre des histoires minables arrivant à des personnages minables dans un décors Los Angelien prêt à s'effondrer. Sa poésie reprend les mêmes litanies, en plus condensées, épurées des contraintes formelles du pourtant peu pulpeux roman de gare américain. Il n'y a plus rien à expliquer, les mots arrivent directs comme des coups de poing dans le menton du lecteur.

dogs and angels are not

very different.

Pour mémoire le menton est le talon d'Achille du boxeur, il ne peut pas le muscler ni toujours le protéger, et selon sa capacité à encaisser la douleur il commande au cerveau, au coeur et aux jambes de continuer ou de se coucher.

I'm a sometimes writer, I say,

most often I don't do anything.

Alors oui, on peut se plaindre que le vieux dégueulasse d'ivrogne salisse la poésie avec des visions éclusées dans les pires rades de la côte Ouest, que sa vision de l'humanité ne dépasse pas le niveau du sol carrelé barbouillé de sciure et de crachats sanguinolents de ces établissements. Les plaintes sont les esquives de nos pensées sobres, et nos mentons trop tendres rougeoient de honte : la poésie est un esprit, tel l'esprit d'alcool elle est insaisissable, volatile et inflammable.

Comment devient-on un grand écrivain?

you've got to fuck a great many women

beautiful women

and write a few decent love poems.

C'est la leçon d'un démissionaire des postes qui a vécu parmi les pas grands-choses, ceux qu'on fait voter chaque année bissextile puis qu'on renferme dans leur asile ordinaire : l'expérience de la vie ne permet pas devenir un poète, mais c'est l'expérience de la vie qui permet au poète de savoir si ce qu'il a écrit tient la route. C'est la leçon du clown ivre.

she is a

child

and a mannequin

and

death.

I can't hate

that.

L'amour chez Bukowski fait peur comme un chien qui montre les dents, mais il sait aussi attirer les caresses, vous retirez la main vaguement dégoûté, vous y retournez pourtant, et voilà qu'il vous a mordu. Son nom est Melancholia.

the history of melancholia

includes all of us.

 

 

 

 

 

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27 février 2016

LE TEMPS EN SURSIS

Lu pour vous...

Le Temps en sursis, d'Ingeborg Bachmann

 

Ingeborg Bachmann

Temps heureux des jeunes années où les mots sont innocents de nos mauvaises pensées, où les phrases ne portent pas encore le poids de nos actes manqués. Un temps qu'on voudrait éternellement suspendu au soleil de midi et que l'on fuit pourtant à toutes jambes, pressés d'espérance, avides de regrets. Il y aurait un poète pour chanter notre impatiente imbécillité, un poète accomodant dont on ne retiendrait, ingrats, jamais le nom. Un poète différent, comme ces femmes qui intriguent plus qu'elles ne séduisent et dont on ne se souvient jamais de la physionomie. Une femme poète que l'on suivrait jusqu'au fond de la mer, pour avoir le coeur net. Mais le coeur tombe :

Fall ab, Herz, vom Baum der Zeit

Fallr, irh Blätter, aus den erkalteten Asten

Germania anno zero : les esprits qui sortent des gravats de Berlin recherchent de l'air sous ce ciel qu'ils n'osent regarder en face, un ciel vide des dieux baroques de leur histoire désormais indicible. C'est l'année du film de Rosselini et de la première réunion du groupe de Richter. Les esprits ont besoin de se compter, de se prouver qu'ils existent et des mots d'Ingebord s'illuminer :

Es kommen härtere Tage

Le "Temps en sursis" est un poème dur, sans concession, une indélicatesse, comme un coup de feu dans un concert, vous savez, ces concerts de Bayreuth que rien ne semble interrompre. Le coup de pistolet n'était pas de la politique, mon cher Riton, c'était le cri d'une femme qui nous rappelle à la vie, quand l'art s'est perdu au confin du grotesque et de la contemplation de lui-même. Le cri a retenti et sa puissance a pu nous détourner des mots en eux-mêmes :

Auf treten volferder im regen und sterne im März

Les mots d'Ingelbord paraissent nouveaux, et c'est désormais le travail du poète, dans l'effort de reconstruction, de les ressortir tous neufs et frais, comme sortis ruisselants de ce Temps qui nous menace de sa présence et de son absence. Non pas des prises de guerre, mais des bénéfices de paix, sans condition.

Wir teilen ein brot mit dem Regen,

ein brot, eine Schuld und ein Haus.

Des mots qui nous indiquent une voie quand la poussière des champs de ruine ne laisse voir qu'un ciel sans direction. Pour nous sortir de cet étourdissement résigné que chante un certain Zimmerman :

How doest it feel

To be on your own

With no direction home

Il y a de la violence et des éclats de la rire, de la tendresse de grand-mère et un sérieux d'écolier - le charme d'un sourire indulgent, les défauts de préliminaires hatifs, mais nulle trace de la prétendue lourdeur teutonne. Ingeborg a vingt-sept ans depuis ce jour.

 

 

17 janvier 2016

GARE SAINT-LAZARE

 

Livres qu'on a cru avoir lus (ou qu'on a oublié avoir écrit)

bowie

Gare Saint-Lazare, de Dr Jones

 

L'homme mort est descendu du train, il y avait foule sur le quai pour l'accueillir. Les médias en première ligne ne lui ont pas laissé le choix, il devait nous dire, il devait répondre. Le mort a attendu que le silence se fasse, il émanait de sa personne une grande félicité d'être de retour, et de sa voix une grand sagesse, même si on aurait pu s'attendre à une voix plus grave et plus imposante. Non, c'était une petite voix, pas la sienne, une voix d'enfant. Disons une voix de jeune adolescent qui n'aurait pas encore mué.

Je ne vais pas vous dire que je suis très heureux, c'était un voyage éprouvant. Je ne le souhaite à personne. Seule la fin mérite d'être appréciée, mais cela est vrai en toutes choses.

Nous n'en avons pas su davantage, il était attendu en haut lieu et des officiels l'escortaient déjà vers les voitures devant la gare. J'étais avec une femme qui l'avait bien connu, de son vivant. Elle avait essayé de tendre sa main vers lui au passage, il avait eu un regard, non pas mauvais, la scène n'avait pas duré une demi-seconde, un regard comme s'il la reconnaissait mais ne s'attendait pas à la voir là. Elle m'a dit que ce n'était pas la peine, non, pas la peine, nous pouvions y aller, nous avons laissé la foule se dispercer là-bas et bientôt il n'y avait plus personne. Il faisait froid, je n'étais pas assez couvert.

Je devais la ramener chez elle où je l'avais prise une heure avant, mais comme nous marchions dans le parking j'ai été surpris de son allure. J'étais transit à présent, glacé, et elle portait des vêtements non pas différents de tout à l'heure, mais comme plus légers. Ses mouvements aussi avaient gagné en légèreté, elle avait dégagé sa chevelure blonde ondulée pour se refaire le chignon, elle marchait les deux coudes en l'air, et à chaque pas je jure qu'elle perdait une année. Arrivé à la voiture j'eus toutes les peines du monde à me hisser - elle m'avait placé à droite et pris le volant, je n'étais visiblement plus en état.

Je ne vous ai pas dit où je l'avais connu. Eh bien dans un train. Le hasard, il n'étais pas du tout connu encore et je ne l'étais pas non plus. Nous prenions le train pour Londres et son regard, vous savez, son regard a obliqué vers moi. Je lui ai fait la réflexion qu'il avait un regard d'extra-terrestre.

Elle avait tout juste vingt ans et conduisait un peu trop vite, le fauteuil un peu trop reculé, ce qui l'obligeait à envoyer de grands coups de pied vers les pédales. J'avais avancé la main pour lui dire d'aller plus doucement mais j'avais était sidéré par le spectacle de cette main vieille et ridée et tremblante, ma main. Elle m'appelait Barnabé, j'avais oublié son nom depuis longtemps. Je suis juste parvenu à lui demander s'il l'avait reconnue.

Bien sûr! Il m'a fait son regard d'extra-terrestre. C'est vrai que je n'étais pas censée être là.

Je regardai enfin la route, nous suivions les fameux véhicules officiels qui menaient le mort vers un rendez-vous important. La fille mâchait un chewing-gum un bras à la portière, elle portait une petite robe d'été et sa peau avait ce bronzage de début d'été qui fait ressortir les taches de son. J'avais toujours aussi froid, j'étais devenu incapable de parler ni de remuer sur mon siège. Même respirer devenait pénible, elle me demandait si Barnabé allait bien, qui était ce Barnabé, et où allions nous? Les voitures se sont engagées dans un cimetière paysager. Nous n'avions pas ralenti, il y avait une sorte d'indélicatesse à rouler si vite. La jeunesse a tous les droits. Elle me taquinait avec son index.

Ce serait bête d'arriver en retard à son enterrement!

Le cimetière était très grand, nous roulions comme s'il s'agissait d'une autoroute. Je sentais bien que je n'en verrai jamais le bout. Je me tassais sur mon siège, la lèvre pendante et l'oeil fixe. J'avais tant de choses à faire! Je n'avais rien fait ou presque, rien qui pourrait me rendre fier. Elle était devenue très belle pendant ce voyage, je la reconnaissais à présent. Tu parles que je te reconnais! C'était le début de l'été et je ne voyais pas la fin de ma mort.

21 novembre 2015

AIMEZ-VOUS BRAHMS EN SALADE?

Livres qu'on a cru avoir lus (ou qu'on a oublié avoir écrit)

 romy

Aimez-vous Brahms en salade? de Françoise Boblet-Ponge

 

Une nuit mes rêves sont tombés en panne. J'ai demandé à mon voisin, il s'agissait peut-être d'un problème général qui touchait tout le quartier. J'ai doucement gratté à sa porte, il était très tard et j'avais peur de déranger. Je le connaissais d'ailleurs assez mal, seulement de vue, bonjour-bonsoir dans le hall devant les boîtes aux lettres. Il s'appelait Gaspard Hilulé et avait un accent indéfinissable, enfin que la brieveté de nos échanges ne permettait pas de définir. Urugayen ou Yougoslave. Il a légèrement entrouvert, on ne voyait dépasser qu'un bout de sa fine moustache relevée façon maître d'hôtel.

C'était la voisine, un héron mal égoutté qui fumait du matin au soir. Je ne savais pas ce qu'elle faisait dans la vie, à part porter son sac l'avant bras retourné et fumer des cigarettes anormalement longues. Comme elle est confuse je lui demande d'entrer et de ne pas faire attention au désordre. Elle s'est assise à côté de Monica dans le sofa rouge, c'est toujours là qu'elles s'assoient en premier. Je tenais ma maîtrise de l'art de l'étude comportemental d'un rabatteur de Pigalle que j'avais connu, des années auparavant, dans le maquis d'Eure et Loir où il savonnait les planches (c'est un métier) sous le sobriquet d'Isidore Ducasse. Il devait faire un retour tonitruant dans ma vie cette nuit-là.

Quand je suis arrivé dans son appart' de la rue Lepic il avait déjà commencé l'hypnose de deux donzelles plutôt correctes, une fraîche émigrée de Belgrade (elle avait dessiné des bas sur ses jambes nues) et une insomniaque locale aux yeux gonflés par le manque d'homme. Il leur passait du Brahms, valeur sure, bonne nuit mesdemoiselles! Il a un peu tiqué dans j'ai sorti ma schnouf, il était du genre à attendre aux passages cloutés. Bon, en relevant la tête j'ai pu m'apercevoir que la yougo dormait à poings fermés, mais que la parigote continuait à renifler en se tordant les mains.

_ Vous n'aimez pas Brahms?

_ Je sais pas.

_ Vous êtes déjà venues ou c'est la première fois?

_ Je sais pas.

_ Est-ce que le sens du mot nounou vous est familier?

_ Je sais pas.

_ Buvez!

Je la voyais prendre le verre et j'aurais voulu l'en empêcher mais j'avais la tête lourde, lourde et quand je la relevais elle avait déjà bu le contenu du verre et l'avait reposé quelque part, elle s'allumait une cigarette, ou elle attendait qu'un des hommes présents avance la flamme de son briquet, j'ai réussi à mieux voir, il y avait des dizaines d'hommes dans la pièce, tous habillés d'épais manteaux et portant, mais pourquoi, des chapeaux, la musique s'égrenait, lente et méticuleuse, "Vous n'aimez pas Brahms" avait articulé un visage près du mien, mais déjà il riait, oui il riait avec les autres, j'avais envie de dormir, ce n'était pas le moment, j'aurais voulu lui dire à la fille de ne pas boire mais elle fumait et leur répondait avec effronterie.

Nous avons mis du temps à tous pouvoir entrer, dans le couloir il fallait pousser pour que tout le monde puisse voir, Picpus avait tiré un foulard rose et un autre vert, il les avait déposés sur un sofa rouge, il avait éparpillé de la poudre blanche dans l'air en psalmodiant les paroles secrètes du Jésus vivant (que celui qui cherche ne cesse pas de chercher, jusqu'à ce qu'il trouve. Et quand il aura trouvé, il sera troublé ; quand il sera troublé, il sera émerveillé, et il règnera sur le tout), puis il a écarté les mains et nous a défié tous du regard, il a claqué dans le nuage de poudre blanche et deux femmes sont apparues, là, assises à la place des foulards. Elles ne semblaient pas se rendre compte de ce qui se passait. Nous avons retenu notre respiration, et dans le silence il les a réveillées une à une d'un claquement de doigt. C'était Picpus, il avait un commerce d'oiseaux exotiques à Chartres.

Nous avons eu beau chercher jamais nous n'avons trouvé. Il était là l'instant d'avant, il venait de faire apparaître un perroquet gris de sous son foulard bleu. Mais nous étions trop serrés pour applaudir, nous avions gardé nos manteaux et nos chapeaux, nous avons eu beau chercher. Il s'est tenu le coeur, le propriétaire des lieux lui a tenu le bras ou a fait le geste de lui tenir le bras, il a ordonné à quelqu'un d'arrêter la musique. Personne ne s'était aperçue qu'on jouait un disque, mais c'était une diversion, l'instant d'après il n'était plus là. De mauvaise grâce nous avons évacué les lieux, les derniers d'entre nous arrachaient des laies de papiers peints. Le bruit de nos pas avaient enflé comme l'approche d'un troupeau, il s'estompait maintenant. Il s'arrêta tout à fait avec l'arrêt de la minuterie.

 

 

 

7 novembre 2015

HOWL

Lu pour vous...

ginsberg

Howl, d'Allen Ginsberg

 

Il y eut un grand cri dans l'église et puis un discours car le gars qui gesticulait avec ses grands cheveux et ses grands bras et ses grandes lunettes était venu pour faire un discours alors tout le monde dans l'église s'est assis pour l'écouter car ils avaient tous compris qu'ils parlaient d'eux et de leur génération qui n'était pas une génération de rythme ou une génération rythmée mais comme l'avait écrit dans la poussière retombée derrière les combats furieux des armées napoléoniennes avec un long doigt blanc à la pulpe délicate le grand moufti des dégoutés de la vie qui s'appelait Alfred de Musset oui Musset avait écrit la génération perdue les générations d'après-guerre mondiale sont des générations perdues pour la vie et tous dans l'église de bois peinte en blanc tous se croyaient membre d'une génération perdue des Etats-Unis d'Amérique du Nord et il y avait là un gars du Québec qui prenait des notes dans sa tête et qui n'était pas gêné par la lumière et qui savait que ce n'était pas le rythme non pas le rythme ni le spleen de Musset encore moins le spleen mais nous sommes dans une église bordel et il eut une révélation ce serait trop beau que ça tombe pendant que Ginsberg récite son poème Howl mais c'est peut-être ce qui s'est passé le gars du Québec avec une gueule de pub de cow-boy a eu la révélation et il a continué à taper dans sa tête à taper comme on cogne sur la gueule de ces junkies de merde qui peuplent le poème à la recherche de la pointe d'une aiguille dans une meule de dollars à taper toujours mais c'était taper sur une machine et la machine s'use et l'homme meurt bon en attendant l'homme a des visions et la machine a des ratés et il était question d'un certain Solomon Carl Solomon qui lui aussi avait tapé sur une machine et il était mort Solomon c'était pour lui le grand cri dans l'église le cri d'un juif qui a réveillé l'Amérique qui ne se découvre plus d'un fil le cri pour qu'on n'oublie plus la vie des boys et des cow-boys et des autres et des vaches et du gars qui tape dans sa tête et qui a la révélation de la béatitude oui la génération est béate ce n'est pas un rythme non la béatitude dans le ciel limpide de l'église en bois blanc avec les voitures qui attendent dehors à la place des vaches alors ce cri est la malédiction Ginsberg crie la malédiction et le petit gars du Québec la béatitude et le sermon continue mais bon on a compris on est à l'église celui dont les lèvres remuent dit ce qu'il a vu.

I saw the best minds of my generation destroyed by madness, starving hysterical naked,
dragging themselves through the negro streets at dawn looking for an angry fix,
angelheaded hipsters burning for the ancient heavenly connection to the starry dynamo in the machinery of night

En sortant de l'église je me suis rapproché du petit gars du Québec, il m'a tapé d'une cigarette et il a oublié de dire merci et un des mecs qui attendaient près des voitures s'est approché et nous a demandé ce qu'il se racontait à l'intérieur, je lui ai dit que Dieu était venu et que son règne avait commencé par une publicité pour Coca-Cola puis par une deuxième pub pour une marque de Ketchup et le petit gars du Québec a souri et a dit qu'un russe avait utilisé l'anaphore pour que nous nous identifions à ce gonze qui s'est fait interné à Rockland mais le mec des voitures ne savait pas où était Rockland ce qui était bon signe pour lui et son entourage, le russe parlait de drogués new-yorkais, le mec des voitures a eu l'air de comprendre et il est reparti attendre un peu plus loin, merde l'anaphore et pourquoi pas l'expolition on dirait de vieux grammairiens qui dissèquent un livre mort d'une langue morte d'un pays mort.

Moloch! Moloch! Nightmare of Moloch! Moloch the loveless! Mental Moloch! Moloch the heavy judger of men!

Il a enfin parlé de Solomon Carl Solomon son ami mais a-t-on des amis et le petit gars du Québec ne savait pas quoi répondre alors il est parti et je me suis retrouvé devant l'église de bois blanc et j'entendais le sermont dans le silence printanier et malgré les faibles crissements des premiers insectes mais je savais qu'ils n'étaient pas partis donc qu'ils n'étaient pas revenus a-t-on des amis faut-il aller à Rockland pour avoir des amis ou le prouver ou s'en convaincre des poètes des fous des poètes des fous des drogués ce n'est pas une expolition c'est une gradation des poètes des fous des drogués je suis un vieux con il a parlé ce n'est pas un rythme non ce n'est pas Musset non plus non c'est une béatitude, une promesse de bonheur. La gé-né-ra-tion bé-a-te. J'ai payé pour voir.

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1 novembre 2015

ELDORADO MON AMOUR

Livres qu'on a cru avoir lus (ou qu'on a oublié avoir écrit)

strogoff

Eldorado mon amour, de Franz Schloss

 

Une nuit j'ai rêvé le rêve d'un autre. J'ai rapidement compris ma méprise : ce n'était pas mon imaginaire, nulle référence à des gens que je connaissais, ni à des lieux que j'avais fréquenté. Au réveil je ne m'en faisais pas trop, les chances de tomber sur la propriétaire du rêve, et qu'elle me fasse des reproches, étaient plutôt mince.

J'occupais alors et ce dès huit heures un poste précaire de réceptionniste d'un hôtel du Vème arrondissement. Ce matin-là je ne portais pas ma livret habituelle, qui avait disparu sans explication de mon casier, mais le chandail lie de vin et le jean noir que j'avais enfilés machinalement après la douche. Je donnais l'impression d'être de passage à mon poste de travail, c'est en tout cas le fond des réflexions que j'entendis à trois reprises de la bouche du personnel féminin de l'établissement.

A midi je me faisais relever et j'allais prendre un déjeuner rapide en cuisine, composé ce jeudi d'un gratin dauphinois, d'une salade aux cerneaux de noix et aux morceaux de Beaufort, et d'une crème semi-liquide qui usurpait le nom de pannacotta. Sonia, la cuisinière en chef, ne gouta guère ma réflexion et me fit déguerpir en menaçant de me faire virer.

Pendant mon travail je ne suis pas censé prendre des communications personnelles. Mais Delphine avait quelques chose d'important à me dire. C'était bien pire que tout ce que j'avais pu imaginer, même si mon imagination s'était limité à des faits de l'ordre du probable, tel l'emboutissement de notre voiture ou l'obligation de passer la soirée chez sa soeur dont on entreprendrait d'atténuer les effets de la dix-neuvième dépression nerveuse.

J'avais demandé à Christiane la directrice l'autorisation de sortir prendre l'air quelques minutes, que je viciai en entrant dans un bureau-tabac pour acheter de quoi me remettre à fumer. Il fallait qu'en m'installant au comptoir et en ouvrant le paquet de Camel je m'assois à côté d'Isabelle. Nous nous étions perdus de vue durant une bonne décennie, je lui proposai de nous revoir le soir-même. Elle avait toujours ses cheveux noirs très longs et de grands yeux perpétuellement mouillés.

Elle me raconta au diner que nous prenions dans une brasserie des Gobelins qu'elle venait de divorcer d'Edouardo, et donc qu'elle revenait s'installer en France. J'ignorais qu'elle était partie six ans au Brésil, mais le Brésil lui allait bien. Non moi non plus je n'étais plus avec Delphine, elle venait de me quitter cet après-midi, non c'était définitif elle était enceinte de Laurent. Au moment de payer je m'aperçus que j'avais perdu mon portefeuille, ou qu'on me l'avait volé. Isabelle me fit le reproche de ma manie de le faire dépasser de la poche arrière de mon jean et paya pour nous.

Je suivis son conseil et allai déposer plainte malgré l'heure au commissariat. Un gardien de la paix me demanda de le suivre dans un bureau pour prendre ma déposition, mais il y eut un contre-temps et ce ne fut pas lui qui se chargea de ma plainte mais une jeune femme qui m'adressait des regards insistants qui devaient répondre aux miens. Il me semblait la connaître, c'est elle qui osa la première exprimer ce trouble. J'ai compris plus tard que j'avais rêvé son rêve la nuit précédente.

_ Tu l'as su quand? Au poste, pendant ta déclaration?

_ Non plus tard, nous nous sommes revus, entretemps j'avais retrouvé le portefeuille, ou plutôt il avait été retrouvé avec ma livret dans la chambre d'une cliente américaine. Le mari avait pris un avion de Boston pour venir s'en saisir et me le mettre sous le nez à la réception. Christiane a affirmé croire en mes dénégations mais le contrat n'a pas été prolongé.

Non, je l'ai revue plus tard, au mariage de Delphine et Laurent. Elle s'appelait Géraldine et était la petite amie temporaire d'un vague cousin de Laurent. Nous nous sommes isolés de la fête pour discuter. Nous avons échangé nos numéros de portable. La relation a longtemps été platonique, nous avions pris l'habitude de nous raconter nos rêves, pour comparer et voir si la chose se répétait. Mais nos rêves ne se sont plus jamais croisés, alors un soir nous nous sommes enhardis. C'était à la terrasse d'un bar, l'Eldorado. Nous avons longtemps marché cette nuit-là en nous tenant la main. Je savais que nous ne nous quitterions jamais, comme si je n'avais pas quitté son rêve cette nuit-là ni elle le mien.

 

1 novembre 2015

COURIR

Lu pour vous...

jean-echenoz

Courir, de Jean Echenoz

 

Dans le court laps de temps qui a séparé Gutenberg de Bill Gates, quelques jeunes générations ont pu rêver en parcourant ces livres journalistiques sur les grandes conquêtes de l'humanité et les géants du sport. On retrouve de cette saveur de reader digest dans le "projet" biographique d'Echenoz, qui n'a pas choisi le fils du peuple Kopa ni le fils du peuple Copi, mais l'ouvrier des usines Bata Emile Zatopek, champion tchèque de course à pied.

Pourquoi Zatopek? Nom de coureur : le nom.

Ce nom de Zatopek qui n'était rien, qui n'était rien qu'un drôle de nom, se met à claquer universellement en trois syllabes mobiles et mécaniques, valse impitoyable à trois temps, bruit de galop, vrombissement de turbine, cliquetis de bielles ou de soupapes scandé par le k final, précédé par le z initial qui va déjà très vite.

Le verbe courir se conjugue au présent chez Echenoz, courir comme pour fuir l'armada allemande qui entre en Moravie en 1939, courir jusqu'à l'arrivée de l'armada russe qui entre à Prague en 1968. Courir simplement, dans un style épouvantable, exhibant au public ses souffrances dans d'affreuses grimaces. Mais courir sur les mains pour fêter sa première grande victoire.Courir comme ce communisme triomphant, qui devait mourir d'immobilisme. Quand courir était encore une épreuve qui soulevait les foules, quand courir n'était pas une question d'or et d'argent.

Pourquoi roman? La biographie a de longtemps précédé l'art romanesque, elle se veut plus témoignage que fantaisie. C'est le véritable tour de force du livre, et la vraie réussite d'Echenoz, de donner plus d'importance aux mots qu'à ce qu'ils évoquent.

Comme a écrit le compatriote de Fangio :

Quand s'approche la fin, il ne reste plus d'images du souvenir ; il ne reste plus que des mots.

Les mots choisis sont simples et précis, évocateurs sans trop de connotation. Ils s'ordonnent en phrases de longues enjambées, appuyées sur des virgules et des conjonctions qui marquent la foulée. Le tour de piste chronologique participe de ce rythme de locomotive, et on ne sait qui suit la cadence de l'autre, du coureur de l'auteur, du héros au prénom francisé du narrateur qui jamais ne s'attarde. A moins qu'il ne s'agisse des yeux du lecteur, qui progressivement édifient une de ces vies parallèles dans leur trajectoire implacable.

 

 

31 octobre 2015

UBIK

Lu pour vous...

dick

Ubik, de Philip K. Dick

 

La littérature de genre propose à une population toujours plus nombreuse de satisfaire ses inextinguibles besoins culturels : des auteurs en firme industrieuse aux noms autrefois anglo-saxons, aujourd'hui scandinaves, produisent des pièces roboratives dont on aurait peine à trouver plus d'intérêt que dans les millions de compositions scolaires censées former la jeunesse - la poussant à l'adoration du dégoût et de l'uniformité.

Dick serait de cette espèce médicamenteuse qui tape à la machine des dialogues à la mise en scène holywoodienne. Il s'adresse à un lecteur qui imagine plus qu'il ne pense, qui projette plus qu'il n'intériorise. Le consommateur de SF engrange les premiers chapitres d'Ubik où chaque phrase est une proposition de l'état de l'humanité en juin 1992 - où je ne passe pas mon bac au lycée Nord de Marseille, mais où les morts ne le sont pas tout à fait, maintenus dans une semi-vie comateuse dont on les tire de loin en loin, pour les besoins d'une intrigue rendue confuse par son artificialité.

Comme dit l'aveugle dans l'Aleph :

C'est peut-être la conséquence de l'abus de détails circonstantiels, procédé qui fait tout paraître faux ; car pareils détails abondent bien dans la réalité, mais nullement dans la mémoire qu'on en a...

Au milieu du livre, vers la fin du chapitre 9, le roman change de perspective, comme si son écriture, acte bassement commercial, prenait le pas sur l'intrigue convenue d'un complot contre une agence de protection psychique dans un monde futuriste mais encore proche, simple déformation du réel des années 1960.

Le patron de l'agence, Runcister, est maintenu en semi-vie dans un moratorium suisse, suite à un attentat dont il a été victime sur la lune. Mais des morts et des disparitions inexpliquées commencent à décimer son équipe survivante, jusqu'à ce qu'ils découvrent un graffiti dans les toilettes de l'écriture de Runcister :

Je suis vivant et vous êtes morts.

Dick a retourné le livre et son lecteur avec : tous les personnages que nous suivons, et que nous inventons à mesure que nous lisons, sont morts. Runcister a seul survécu à l'attentat sur la lune, les a placés dans le moratorium où il tente de les sauver d'un autre semi-vivant, Jory, qui crée la réalité du livre pour mieux les piéger et s'en nourrir.

Et l'aveugle de poursuivre :

L'histoire que j'ai racontée paraît irréelle parce qu'en elle s'entrelacent les évènements arrivés à deux individus distincts.

Les deux individus chez Dick sont l'individu réel et l'individu imaginaire, sans que nous ne sachions jamais de qui nous sommes, en tant que lecteur, le plus proche. Poussée à l'extrême la démarche artistique devient gnosticisme, et n'est-ce pas l'intention de l'auteur dans le titre : Ubik signifie Partout, la publicité qui ouvre chaque chapitre est ce message omniprésent qui nous fait croire à la réalité du monde. D'où ce besoin maladif de culture.

Alors la prochaine fois, regardez mieux les pièces qui trainent au fond de votre poche : la figure que vous y découvrirez sera celle de votre auteur, autant dire votre dieu (ou l'apparence de dieu, le démiurge).

 

25 octobre 2015

LA VIE MODE D'EMPLOI

Lu pour vous...

perec

La Vie mode d'emploi, de Georges Perec

Le livre s'ouvre sur une analogie : il s'agit d'un puzzle, et le lecteur (le poseur) ne pourra que suivre les traces du faiseur (l'écrivain) sans jamais le dépasser. La littérature au sens large s'apparente donc à un art visuel d'imitation qui se limite à la description, chapitre après chapitre, pièce après pièce, du 11 rue Simon-Crubelier à Paris dans les années 1970.

Oui, cela pourrait commencer ainsi, ici, comme ça, d'une manière un peu lourde et lente, dans cet endroit neutre qui est à tous et à personne, où les gens se croisent presque sans se voir, où la vie de l'immeuble se répercute, lointaine et régulière.

Paraphrase étonnante d'un voyage Célinien qui suit un exposé proprement Oulipien : quand on connaît la virtuosité de l'auteur, jusqu'où peut aller notre esprit dans la déduction? A-t-on affaire à un livre neutre, qui a seulement abattu le mur de façade pour nous montrer, sous un verre grossissant, l'existence de ses occupants, d'un style châtié dépourvu d'affect, d'un style tellement post-neutre qu'il en devient spirituel? La réponse est sous le titre : La vie mode d'emploi s'entend au pluriel : plusieurs vies, plusieurs façons de vivre, mais n'y-a-t-il pas contradiction avec les deux premiers incipits et l'analogie du puzzle?

Chaque tâtonnement, chaque intuition, chaque espoir, chaque découragement, ont été décidés, calculés, étudiés par l'autre.

La tarte à la crème de l'époque était la découverte du sens de la vie : l'annonce de Perec répond à l'attente du public, mais sans renoncer à lui proposer un ouvrage dense, complexe et d'une profondeur peut-être inégalée en langue française. Une nouvelle Recherche, à peine moins ample mais achevée, un objet fini dont l'étude pourrait occuper une vie - à proprement parler le chef d'oeuvre de son auteur, qui dans sa réussite dépasse le cadre habituel du roman - ce qu'il avoue dans le sous-titre Romans.

La cuisine des Louvet. Sur le sol un linoléum verdâtre à marbrures, sur les murs un papier à fleur plastifié.

Roman de l'immobilisme, ce qui constitue la première qualité d'un immeuble ; roman de la description, minitieuse et méthodique, qui nécessite une érudition et une précision qui semblent, à la première lecture, relever du challenge oulipien, comme dans la Disparition écrire un roman sans la lettre e. Au-delà des hardiesses formelles (Perec change de forme à chaque chapitre, passant de l'intrigue policière à la recette de cuisine puis à la bibliographie puis à la description exhaustive d'objets hétéroclites, à la généalogie des occupants successifs d'une pièce jusqu'à la notation d'une partie d'échec), et comme il l'annonçait non sans défi dans l'introduction, c'est au lecteur de reconstituer ce que Serge Valène, sur son lit de mort, a laissé inachevé.

La toile était pratiquement vierge : quelques traits au fusain, soigneusement tracés, la divisaient en carrés réguliers, esquisse d'un plan en coupe d'un immeuble qu'aucune figure, désormais, ne viendrait habiter.

Mais comment y parvenir quand Bartlebooth échoue dans son entreprise pour une pièce une seule, qui ne pouvait pas ne pas avoir la forme d'un W, lettre Sin en hébreu qu'il utilise dans ses Souvenirs d'enfance, et qui a donné le Sigma grec, forme du E qui disparait dans l'apocope traditionnelle de l'hébreu et dans son roman lipogrammique?

Pour le savoir lisez L'avide Maude, d'Amploix, de Georges P. Req.

 

24 octobre 2015

LA CARTE ET LE TERRITOIRE

Lu pour vous...

houellebecq

La carte et le territoire, de Michel Houellebecq

Pour qui a grandi et vécu en attendant la sortie du prochain Houellebecq, pour le dévorer puis le vomir, prose comme personnage qui tient cigarette entre majeur et annulaire, la Carte et le Territoire représente une sorte d'acmé - à la fois consécration et forcément plus mauvais livre de l'escroc - en attendant bien sûr un assassinat bien mérité.

Non pas que les provocations ne fonctionnent plus, mais la bande à Pivot le consacre mollement et Pernaut outragé tout le roman ne porte pas plainte. L'intérêt médiatique est ailleurs : Houellebecq se met en scène, ce qui paraît extraordinaire à la critique, "sans complaisance", se tuant même dans un rebondissement halletant qui ouvre la troisième partie.

Eh bien, l'écrivain connu servait maintenant de support nutritionnel à de nombreux asticots, se dit Jasselin dans un courageux effort de mind control.

Michel Thomas a inventé une manière de tenir sa cigarette, un bon personnage d'écrivain et aussi un style. L'écriture Houellebecquienne est désabusée, neutre, plutôt lente. Un scandinave qui aurait de l'esprit. Les thèmes abordés, crus et provocateurs, mèlent des considérations métaphysiques piochées dans la rubrique philosophie de Pif gadget ou Playboy à des anecdotes plutôt réactionnaires, assez bien dans l'air du temps. Sexe, racisme et sciences naturelles. Avec un culot inconnu de l'esprit français.

C'est un bon auteur, il me semble. C'est agréable à lire, et il a une vision assez juste de la société.

On pourrait sans mauvaise foi lui retourner le compliment : mauvais auteur, sale type désagréable, qui a une vision confuse de la société. Houellebecq est une proie facile, ses romans se vendent certes mais se répètent formellement depuis Les particules élémentaires. Le personnage médiatique lasse, comme tout ce qui a trait à la mode. Il l'entretient pourtant, l'agrémente au goût du jour. Moins sexe, plus raciste. Ce qui finit par le desservir, on prend l'happy end inattendue de La carte et le territoire pour un pied de nez, et son apparition/disparition pour de la mégalomanie bien placée.

Mais reprenons et lisons.

La carte et le territoire, de Michel Houellebecq

Un narrateur blasé mais précis prend du recul et nous raconte la vie édifiante d'un artiste contemporain, contemporain de Le Pen et de TF1.

Jed a une commande concernant l'écrivain génial Michel Houellebecq. C'est pour l'un fortune et reconnaissance, pour l'autre une mort affreuse.

La France est dépeinte sans complaisance, avec l'aide de wikipedia. L'enquête sur la mort de Houellebecq permet d'atteindre les 400 pages déjà payées par Flammarion. Le SAV fait le reste.

L'art, l'amour, le rapport au père, la mort, le travail, Pif Gadget, la France devenue un paradis touristique sont quelques uns des thèmes de ce roman, résolument classique et ouvertement moderne.

Bernard Pivot reçoit un coup de téléphone, il baisse la tête, range son portable et annonce aux autres convives que le prix doit être donné à Flammarion.

La scène de la mort de Houellebecq, outre sa maîtrise formelle, offre une des plus belles paraboles de notre littérature actuelle sur la place de l'écrivain dans son oeuvre : centrale, dessiminée, omniprésente. Le livre exprime ainsi autre chose que sa plate couverture, couverture au sens policier, tirée par l'auteur en fin d'ouvrage :

Il va de soi que je me suis senti libre de modifier les faits, et que les opinions exprimées n'engagent que les personnages qui les expriment ; en somme, que l'on se situe dans le cadre d'un ouvrage de fiction.

Ouf!

 

 

 

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Plein de Caporal
  • Dire ce que l'on a sur le cœur, ne pas voler, le dire en chantant, en écrivant, Odysseus déjà les lui confiait, ses tourments, pour rigoler, menteur métissé, enchanteur, en chantier, et puis lire encore, l'ouvrir aux autres, le fermer enfin.
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