Lu pour vous...

Mensonge romantique et vérité romanesque, de René Girard

Cet essai polémique, en plein existantialisme triomphant, me fut mis sous le nez par un professeur de philo qui ne devait pas porter Sartre dans son coeur. Et c'est encore ce parti pris polémique qui discrémine les camps des partisans et des opposants, laissant au rang d'anecdote cette découverte majeure du désir triangulaire, qu'on aura avantage à suivre jusqu'à ce chapitre VIII intitulé "Masochisme et sadisme".

On n'est pas pris au sérieux quand on a dix-sept ans : je n'avais pas lu, sauf le Rouge et le Noir, les livres dont il est fait référence dans cette étude ; mais j'avais saisi l'essentiel, intuition adolescente, précisément dans ce chapitre VIII :

Toutes les victimes du désir métaphysique, y compris les masochistes, convoitent la divinité du médiateur, et c'est pour cette divinité qu'elles accepteront, s'il le faut, - et il le faut toujours- ou même qu'elles rechercheront, la honte, l'humiliation et la souffrance.

Julien Sorel est le premier héros romanesque moderne, c'est à dire conscient de sa propre individualité. Il se jette dans une vie d'imitation et de prédation. J'ai lu et relu le livre de Girard, et aussi les oeuvres sur lesquelles il appuie son analyse. Sourdait l'idée que pour vivre une vie romanesque, la vie d'un romancier, le destin d'un personnage de roman, il fallait suivre une voie masochiste.

Strike, dear mistress, and cure his heart

Après l'imitation (j'imitais les poses des superhéros warholiens), après la prédation (arriver à l'inconnu par le dérèglement de tous les sens), je me mis à désirer l'obstacle le plus grand.

Le masochiste est plus lucide, et plus aveugle, que les autres victimes du désir métaphysique.

Nous ne fuyons pas le malheur, nous le cherchons éperdument. La pensée paradoxale de Girard démasque, après Nietzsche, les fausses valeurs de notre morale industrielle. Mais il revient à Rome quand l'allemand, en jettant à bas le masque du Crucifié, voit apparaître le visage de Platon. J'ai lu les contempteurs de Girard, et je n'étais pas loin de les suivre quand ils concluent que le but de la littérature n'est pas l'instauration d'une vérité. Mais l'hérisson d'Avignon répond, à l'avance, aux objections commodes que l'évidence aveugle :

Toute synthèse est incomplète qui aboutit à un objet ou à un concept abstrait et non à une relation vivante entre deux individus.

Critique de la raison philosophante, ode au génie littéraire, et si mon intellect repousse les conclusions trop abruptes de Girard, c'est bien l'expérience qui chaque fois finit par lui donner raison. Dans ce fameux chapitre VIII il décrit vingt ans de ma vie, mais ne la vivais-je pas en connaissance de cause?

C'est en enfermant son voisin dans l'asile, remarque justement Dostoievski, qu'on se persuade soi-même de son propre bon sens.

MENSONGE ROMANTIQUE

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