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Plein de Caporal
14 septembre 2015

PEDRO PARAMO

Lu pour vous...

Juan_Rulfo

Pedro Paramo, de Juan Rulfo

Il est des livres courts dont on pensait faire la lecture le temps d'un voyage, que nous avions pris pour un gentil divertissement. Mais certains livres vous désarçonnent et vous vous apercevez qu'il peut y avoir quelque chose d'autre dans un roman. D'autre que ces fastidieuses galeries de portraits. D'autre que ce faux suspens, d'autre que cet exotisme wikipediesque. Le Pedro Paramo est ce genre de roman qui vous prend la tête, sec et gauche comme la voix rogomme d'un d'adolescent, mais où chaque mot, chaque image, chaque soupçon est strictement nécessaire, comme dans la meilleure poésie élégiaque. Voluptueux, éliptique, mais aussi romanesque qu'un fantasme bovaryen, mais aussi épique qu'une geste barbare.

Dépoussiérons ce mythe régionaliste qui n'a curieusement pas traversé l'Atlantique : le Pedro Paramo vaut cent Catcher in the Rye, c'est entendu, mais le discret Juan Rulfo n'est-il pas le seul écrivain à sortir indemne de ce vingtième siècle tapageur? Il réussit très modestement là où Kafka échoue dans son Château qui toujours recule, à l'image d'un livre dont le lecteur ne saurait jamais que le titre. Rulfo a l'élégance d'un Rimbaud de ne pas s'imposer. Il a surtout ce coeur proche des gens de son pays et de son passé, de ceux qui savent que le temps et l'espace échappent à toute expression directe et que le romancier doit prendre un autre chemin.

Au chevet de sa mère mourante le narrateur fait le serment de retrouver son père, Pedro Paramo.

Mais je ne comptais pas tenir ma promesse. Du moins jusqu'à ces derniers temps, quand j'ai commencé à me remplir de rêves, à laisser les illusions grandir. C'est ainsi que je me suis bâti tout un monde autour de l'espoir qu'était pour moi ce monsieur appelé Pedro Paramo, le mari de ma mère.

Dès sa rencontre avec le bourriquier à la croisée des chemins on sort de la quête fastidieuse, l'homme lui indique un village plus mort que vivant et il affirme être aussi le fils de feu Pedro Paramo. Comala, ce village fantôme, devient le death's dream kingdom et la Media Luna, la terre sur laquelle règne le souvenir du cadavre du père, le death's other kingdom.

Mais avant de connaître la vie de ce père, avant d'atteindre la littérature, il faudra que le narrateur souffre et s'enfonce dans ce qui précède la mort et que le lecteur lui tienne la main dans cette imprévue descente aux enfers. C'est en accompagnant ce narrateur silencieux que j'ai découvert que je me préoccupais décidement du futile et du superficiel, et que j'ignorais ce bruit de fond en moi qui est celui de l'univers entier.

Si Dieu a lu Juan Rulfo alors il sait ce que nous ressentons. Le Pedro Paramo vaut cent Bible.

 

 

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  • Dire ce que l'on a sur le cœur, ne pas voler, le dire en chantant, en écrivant, Odysseus déjà les lui confiait, ses tourments, pour rigoler, menteur métissé, enchanteur, en chantier, et puis lire encore, l'ouvrir aux autres, le fermer enfin.
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