POEMES FRANCAIS
Lu pour vous...
Poèmes français, de Rainer Maria Rilke
On pourrait mesurer le degré de civilisation d'une société à son rapport aux poètes. Ce sont gens fragiles, inquiets, dont il faut entretenir avec attention la flamme ténue, quand un mouvement dérisoire de la vie sociale peut l'éteindre à jamais. Il existait une telle société sur notre continent, au temps des sanatoriums, des princesses Tour et Taxis et des cols amidonnés. On mettait son poète dans une solitude holderlinienne et on payait sa vie chiche pour de la lumière. Après une guerre totale de près d'un siècle la seule chose qui ne fut pas reconstruite ni réhabilitée fut précisément cet esprit, qui nous paraît dans notre monde numérique, globalisé et commercial d'un démodé.
Ce sont les derniers poèmes parus du vivant de Rilke, il les écrivit en français mais c'était pour la Suisse. Et une lecture très superficielle qui butterait d'emblée sur le champ lexical et leur forme aride et classique, nous sommes au mitant des années 1920, a fait penser à ces critiques de profession qu'il pouvait y avoir une manière.
Puisque tout passe, faisons
la mélodie passagère
Les mots de Rilke ne sont que l'expression subtile des vibrations du coeur. Il n'y a aucun procédé, le silence de tant d'années n'est brisé et dans une langue d'emprunt, une langue d'errance, que pour établir une communion plutôt qu'une communication, de coeur à coeur, comme pour signifier au lecteur du poème qu'il n'est pas seul à penser dans le néant, à parler dans l'absence et à pleurer dans l'oubli.
C'est le paysage longtemps, c'est une cloche,
c'est du soir la délivrance si pure
Un monde matérialiste ne mérite pas cet étrange passeur qu'est le poète ; qui juge la littérature au poids, le prosateur à sa véracité et le versificateur à la qualité de ses rimes. Je ne comprenais pas moi non plus que quelques mots d'un poète, autant dire pas grand chose dans notre esprit vulgaire, aient inspiré la part notable d'une des philosophies les plus complexes, parce que subtile elle aussi, celle d'Heidegger.
Chemins qui ne mènent nulle part
entre deux prés
que l'on dirait avec art
de leur but détournés
Avouerai-je que la communion eu lieu et que cette lecture fortuite marqua ma conversion?
Et à l'effronté poilu qui me demandera à quoi sert un poème de Rilke, qui ne semble rien dire, avec des mots plus simples que ceux d'une recette de pâte à crêpes, j'ose opposer ce haut-le-coeur de celui qui doit descendre si bas si vite qu'il préfère d'un air crâne cacher ses ailes à la vue du médiocre.