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Plein de Caporal
25 octobre 2015

LA VIE MODE D'EMPLOI

Lu pour vous...

perec

La Vie mode d'emploi, de Georges Perec

Le livre s'ouvre sur une analogie : il s'agit d'un puzzle, et le lecteur (le poseur) ne pourra que suivre les traces du faiseur (l'écrivain) sans jamais le dépasser. La littérature au sens large s'apparente donc à un art visuel d'imitation qui se limite à la description, chapitre après chapitre, pièce après pièce, du 11 rue Simon-Crubelier à Paris dans les années 1970.

Oui, cela pourrait commencer ainsi, ici, comme ça, d'une manière un peu lourde et lente, dans cet endroit neutre qui est à tous et à personne, où les gens se croisent presque sans se voir, où la vie de l'immeuble se répercute, lointaine et régulière.

Paraphrase étonnante d'un voyage Célinien qui suit un exposé proprement Oulipien : quand on connaît la virtuosité de l'auteur, jusqu'où peut aller notre esprit dans la déduction? A-t-on affaire à un livre neutre, qui a seulement abattu le mur de façade pour nous montrer, sous un verre grossissant, l'existence de ses occupants, d'un style châtié dépourvu d'affect, d'un style tellement post-neutre qu'il en devient spirituel? La réponse est sous le titre : La vie mode d'emploi s'entend au pluriel : plusieurs vies, plusieurs façons de vivre, mais n'y-a-t-il pas contradiction avec les deux premiers incipits et l'analogie du puzzle?

Chaque tâtonnement, chaque intuition, chaque espoir, chaque découragement, ont été décidés, calculés, étudiés par l'autre.

La tarte à la crème de l'époque était la découverte du sens de la vie : l'annonce de Perec répond à l'attente du public, mais sans renoncer à lui proposer un ouvrage dense, complexe et d'une profondeur peut-être inégalée en langue française. Une nouvelle Recherche, à peine moins ample mais achevée, un objet fini dont l'étude pourrait occuper une vie - à proprement parler le chef d'oeuvre de son auteur, qui dans sa réussite dépasse le cadre habituel du roman - ce qu'il avoue dans le sous-titre Romans.

La cuisine des Louvet. Sur le sol un linoléum verdâtre à marbrures, sur les murs un papier à fleur plastifié.

Roman de l'immobilisme, ce qui constitue la première qualité d'un immeuble ; roman de la description, minitieuse et méthodique, qui nécessite une érudition et une précision qui semblent, à la première lecture, relever du challenge oulipien, comme dans la Disparition écrire un roman sans la lettre e. Au-delà des hardiesses formelles (Perec change de forme à chaque chapitre, passant de l'intrigue policière à la recette de cuisine puis à la bibliographie puis à la description exhaustive d'objets hétéroclites, à la généalogie des occupants successifs d'une pièce jusqu'à la notation d'une partie d'échec), et comme il l'annonçait non sans défi dans l'introduction, c'est au lecteur de reconstituer ce que Serge Valène, sur son lit de mort, a laissé inachevé.

La toile était pratiquement vierge : quelques traits au fusain, soigneusement tracés, la divisaient en carrés réguliers, esquisse d'un plan en coupe d'un immeuble qu'aucune figure, désormais, ne viendrait habiter.

Mais comment y parvenir quand Bartlebooth échoue dans son entreprise pour une pièce une seule, qui ne pouvait pas ne pas avoir la forme d'un W, lettre Sin en hébreu qu'il utilise dans ses Souvenirs d'enfance, et qui a donné le Sigma grec, forme du E qui disparait dans l'apocope traditionnelle de l'hébreu et dans son roman lipogrammique?

Pour le savoir lisez L'avide Maude, d'Amploix, de Georges P. Req.

 

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Plein de Caporal
  • Dire ce que l'on a sur le cœur, ne pas voler, le dire en chantant, en écrivant, Odysseus déjà les lui confiait, ses tourments, pour rigoler, menteur métissé, enchanteur, en chantier, et puis lire encore, l'ouvrir aux autres, le fermer enfin.
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